Mon père, je garde une sincère affection pour lui. Ne croyez pourtant pas que notre cohabitation était toujours sans problème. Mais cela, c'est l'ordinaire. Ce que je retiens de notre vie commune, c'est sa manière d'être. Intelligent quoique parfois un peu borné, suivant son chemin sans avoir d'autres ambitions que d'être un brave homme. Un homme d'un bon sens digne d'admiration. Faire son boulot avec conscience mais sans précipitation. Le stress, il ne ne connaissait guère.
Un homme quelque part modeste et qui ne court pas après l'argent. Pourquoi en avoir plus qu'on en a besoin ? Il était allé un jour témoigner de son état de fortune auprès de la commission d'impôt. Mon père était commerçant. Le préposé au vu des papiers qu'on lui présentait, aurait volontiers cru à une falcification s'il n'avait vu que ce brave homme ne lui cachait rien et qu'il n'y avait au final rien d'autre que cette très modeste situation.
Il avait quitté son métier de laitier qu'il pratiquait depuis si longtemps qu'il ne se souvenait même plus de l'époque où il avait commencé. Avec un soulagement immense. Ne plus avoir à pratiquer le coulage matin et soir, semaine et dimanche, mois après mois, année après année, sans vacances. Comme il en rêvait alors, du chalet, où il avait fromagé pendant une douzaine d'années avant de se marier. Il lui fallait y retourner. Ce qu'il fit en 1964. A l'époque il y avait encore des laitière, donc il fallait traire. Il le faisait avec son frère qui montait l'aider. Et puis il n'y eut plus que du jeune et une vache dont le lait servirait à nourrir les veaux. Il restait seul. Il ne s'y ennuyait jamais. Quand il descendait pour le repas de midi au village, il n'avait qu'une idée, y remonter. Il y dormait. Il y soupait donc et y déjeûnait seul. Pas de problème. Sa propre présence et celle du bétail lui suffisait.
On l'a vu dans ses oeuvres. Cette connaissance de sa manière de faire transparaît dans les quelques lignes et photos qui suivent. On les découvrira sans doute avec plaisir.