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24. Le discours de Gao Xingjian, Prix Nobel de littérature, du 7 décembre 2000, devant l'Académie suédoise.

Publié le 11 août 2014 dans Littérature

Gao Xingjian, né en 1940.

    C'est là un texte absolument remarquable dont nous pouvons tous nous inspirer. Cette profession de foi devrait être le credo de tout homme qui tente d'écrire, et qu'importe ce que pourra devenir ses maigres propos dans un monde surchargé où le mot depuis longtemps déjà s'est dilué, a perdu son sens premier, a été traficoté en tous sens dans le but de lui faire perdre la valeur qu'il avait pu acquérir au cours de siècles de longue maturation. 
    Revenons-en au texte de Gao Xingjian: 
    "Si le jugement esthétique de l'écrivain devait suivre les tendances du marché, cela reviendrait au suicide de la littérature". 
    Cela signifie clairement  que l'homme de plume, et quel que soit le genre, se doit de suivre une voie qui lui est propre, sans tenir compte ni d'un rendement quelconque, ce qui est somme toute le moindre des maux, ni d'une acceptation sous quelque forme ce soit, de la pensée politique régnante ou dominante, ni surtout d'une volonté de plaire au public d'une manière quelconque. L'homme qui  écrit, ainsi que le dit Gao Xingjian, ceci clairement énoncé ou à découvrir entre les lignes, se doit d'être seul, résolument seul, seul contre tous, seul pourrait-on dire, contre Dieu lui-même. L'homme qui écrit se doit d'être lui-même, en tous lieux, en toutes occasions, en toutes époques, sans fléchir devant quiconque. Profession de foi qui tient naturellement de l'impossible. 
    Maintenant reconnaissons que Gao Xingjian tout en nous livrant un message fondamental, pourrait ne pas être à l'abri des reproches. Passer sous le jour du Prix Nobel, et même si c'est de littérature, n'est-il pas déjà une acceptation d'une volonté étrangère à soi-même, n'est-ce pas déjà se soumettre à une volonté extérieure qui pourrait infléchir ultérieurement votre pensée ? On sait les dérives de cette institution,  l'exemple le plus frappant étant l'attribution du Prix Nobel de la Paix  à Barack Obama en 2009 et qui,  pas plus que son prédécesseur n'a su aller dans le sens d'une recherche réelle de la paix ni d'une volonté authentique d'assigner à son pays des règles morales plus strictes ou plus élémentaires. Bien au contraire,  dans les actes et non dans sa parole qui sera toujours à prendre avec des pincettes. Si l'on peut considérer que tout est du même bois, on peut douter de la valeur de ce prix, en conséquence se demander si Gao Xingjian, en l'acceptant, n'est pas allé à l'encontre même de son credo. 
    Tout cela donne à réfléchir. Plus encore le fait que l'écrivain appartienne à un grand pays, et que l'on ne sache pas que des ressortissants de tel ou tel de ceux-là, immenses, n'ait pas reconnu sa primauté sur tous les autres, et ne l'ait soutenu dans l'essentiel de ses démarches. On sait ainsi à quel point les écrivains russes mêmes les plus connus, même les plus géniaux, étaient nationalistes, et que même les dissidents de ces pays-là, quelque part, n'auraient pour rien au monde renié les valeurs ancestrales de leur mère-patrie. On est, somme toute, d'une terre que l'on ne renie jamais, et quelque soit ce que l'on peut écrire. On prétend à la vérité tout en entretenant le mensonge. 
    Il se peut que Gao Xingjian soit à l'écart de cette tendance. Il faudrait, pour en être persuadé, le pratiquer plus que nous ne pourrons jamais le faire, il serait nécessaire de disséquer ses oeuvres par le menu, voir même de savoir qui en sont les traducteurs et quelles sont les orientations de ceux-ci. Bref, tout, malgré des professions de foi hautement honorables, reste sujet à caution. Tout, y compris notre propre prose, personne ne pouvant échapper à ce que l'on appellera la dissimulation, voire la mauvaise foi, tares fondamentales qui ne sont jamais bien loin, en somme, de ce qu'il peut y avoir de pire peut-être dans la pensée ou le comportement d'un homme, la compromission.