Oui, entre 11 000 et 12 000 hommes, fatigués, éreintés, affamés. On les reçut de la meilleure manière qui soit. On leur trouva des refuges, on leur offrit de la soupe et du pain. Ils purent passer enfin une nuit en paix. A moins que les cauchemars les aient tenus éveillés. Ou que la fatigue fut trop forte pour que l'on puisse dormir.
Ils devaient repartir le lendemain déjà, pour Bière ou pour Cossonay. Là, plus qu'ici ils trouveraient de quoi vraiment soulager leur peine. Ne pas avoir pour seule perspective de repartir déjà le lendemain.
Leur passage fut mémorable. Il frappa les imaginations. Il serait raconté dans la feuille locale. On s'en souviendrait encore cinquante ans plus tard. Comme si c'était hier.
Un seul mourut dans notre région. Est-ce une incongruité, 150 ans plus tard, là où il trouva son éternel repos, nous nous sommes recueillis. Qui donc, une vaste troupe, avec des drapeaux, avec une fanfare, après des discours ? Nullement. Nous étions deux.
Soldat inconnu, repose en paix. Nul ne te dérangera plus pendant le demi-siècle qui vient. Et puis tout à coup, ils se souviendront. Et alors ils repenseront à toi. Et peut-être même qu'ils penseront à nous aussi, comme les témoins d'un vieux temps dont ils auront de la peine à comprendre le sens.