Le gros fayard des Esserts.
C’était un après-midi d’automne résolument gris. Mais qu’importe. Cette couleur si triste n’invite-t-elle pas mieux à la contemplation, à la méditation que doublerait une douce rêverie ? Nous avions suivi le vieux chemin herbeux. Nous étions arrivés au chalet que nous avions regardé longtemps, admirable malgré les mauvaises restaurations qu’on lui avait apportées. Le goût manque très souvent en nos altitudes. C’est un péché d’ignorance et d’insensibilité qui nous fait mal aux yeux, une médiocrité viscérale, et je pèse mes mots, qui nous laisse confondus. Et l’avenir, tout soudain, il est pareil à ce ciel tout à coup assombri qui semblait descendre sur nous pour nous écraser. Alors nous étions allés à l’arbre, derrière le chalet, que nous avions découvert avec étonnement. Quelle immensité de tronc principal, et même de ces premières branches devenues chacune à son tour grosse comme un tronc. Et le tout donnait une ramure prodigieuse. Mais ce qui étonnait surtout, c’était la matière même de l’arbre. Était-ce du bois ou de la pierre ? De la pierre plutôt, dont la surface de l’écorce, grise, épaisse, rugueuse, en avait l’apparence exacte. Arbre ou pierre, cela avait-il de l’importance ? Il était si vieux que personne d’ici n’avait pu en voir la naissance ni même découvrir cet arbre plus jeune. Les plus anciens bergers, tous, ils l’avaient vu déjà centenaire. Ils disaient « le vieil arbre », et tous aussi souvent ils en parlaient, ils s’y étaient attachés. Il est là, près du chalet. Il semble veiller sur lui, le protéger.