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14. Mon père joue de la musique à bouche.

Publié le 21 juin 2013 dans Mémoires de bergers

C'est qu'il était heureux, là-haut, notre père.

    Mon père, les yeux presque fermés parce qu’il joue, qu’il retrouve quelque passé oublié grâce à la musique, qu’il pénètre en un autre monde lui appartenant à lui seul. Du reste il s’en fout. Il est là, sans souci du lendemain, sans vains regards sur le passé qu’il oublie et dont même il ne faut plus lui parler. Ce qu’il a vécu, de l’ancien, c’est derrière, on n’y pense plus. Des misères, des gains modestes, mais quelle importance maintenant ? Ca ne lui appartient plus. Cette vie-là, c’était presque celle d’un autre, mais non pas la sienne. Il est là et il joue. Il est là au chalet et il ne pense pas au bas. Il a tout ce dont il a besoin, sa musique à bouche, et dans la cuisine, il fait deux pas et il y est, son souper qui l’attend dans l’armoire. Il vient d’ailleurs de faire le feu, couper un peu cette humidité qui revient en fin de journée. Les volets sont naturellement ouverts. On voit le toit, la chéneau. On lit la date de la construction du chalet, 1721 sur la pierre au-dessus de la porte. C’est donc là un très vieux chalet, l’un des seuls de la région qui n’ait pas brûlé une fois ou l’autre. Dans la pierre de taille, au niveau de la poignée, il y a un dégagement afin que la main ne frotte pas contre le rugueux de la matière. Et le trou, à force, avec toutes ces mains qui le touche quant même avec les nies, il est presque lisse,  il fut fait, on le suppose, au début qu’il y eut ces pierres de taille. On voit le mur de la cuisine et un crochet de fer planté dans la pierre et qui ne sert plus. On les sait, ces choses. On les connaît par cœur. Lui et moi.