Ils sont quatre à table, les trois adultes et le petit. Le petit, pour le début de la saison, il a demandé congé pour l'école. Comme aussi pour la fin du temps d'alpage, alors que les autres, ses copains, ils ont déjà regagné les classes.
Le petit, on l'aime bien. C'est lui, parce que justement il est petit, qui fait tous les petits boulots. Il charrie surtout le lait que l'on vient de traire dans des bidons à la salle de fabrication, on dit aussi la cuisine, pour le verser dans le gros chaudron où l'on fera bientôt le fromage.
L'alpage, sur les hauteurs, avec les sommets tous blancs qui vous protègent, ah! c'est quelque chose. C'est même si grand malgré la monotonie des journées, que l'on ne céderait sa place pour rien au monde, pas Joseph, qu'on ne voudrait pas qu'il y ait des autres qui viennent ici pour nous voler l'ouvrage ?
Les bergers... Ils font quatre mois dans ce chalet et puis ils redescendent, pour retrouver la "civilisation", qu'ils disent, sans toutefois y croire à cent pour cent. Car eux, s'ils pensent, dans leur haut chalet, presque au niveau des nuages parfois, ils n'est pas certain que ceux que l'on trouve dans le fond de la vallée, ces niobets, qu'on dit parfois, dans leur excitation, ils le fassent beaucoup. Ils s'activent certes, mais c'est pas comme nous qui avons l'air pur et sa clarté pour nous faire envisager la vie d'une autre manière. On est devenu plus philosophique! Et les pensées qu'on a, on y tient. C'est le fondement de notre existence, pas Joseph, que nous autres, au chalet, avec ce que l'on a dans la tête, on pourrait facilement refaire le monde! On le referait surtout plus beau qu'il ne l'est, avec toutes ces misères.
Ainsi parla Aloïs Fey, qui montait là-haut pour la vingt-septième fois.